Vestiges de Noël
L’immense alfange lumineuse ensanglante l’horizon à mesure que le jour se lève. Seuls spectateurs au milieu de l’intensité des nuées, nous faisons route vers l’Espagne et le Portugal. Le vol atterrira en Algarve baigné des premiers rayons de soleil pailletant la lagune malgré le brouillard. On apercevra les palmiers qui bordent la piste, la silhouette familière de l’aéroport et de la terrasse du café où j’aime m’attabler pour partager un authentique petit déjeuner anglais, plus loin la dune qui s’étire à l’ouest vers Quarteira et la marina de Vilamoura. Bientôt se dessinera le visage de mon père au milieu de l’aérogare, immense, son regard bienveillant, son sourire, à la main des sachets kraft contenant des croissants de chez Paul.
Fermer les yeux abolit le temps, ainsi, certains soirs, allongé seul dans un lit trop grand, on redevient un enfant apeuré dans le noir. On se croit à Combray, au Chesnay, espérant la venue de sa mère, rejouant une scène sans cesse répétée depuis que les mères sont mères et que les fils sont fils. Les rides fragiles disparaissent, seuls subsistent les souvenirs qui se mêlent, tangos incertains, qui raniment le passé. Le portail vert de la rue Pierre Chaulin émerge de ma mémoire, un doberman aboie, le petit chemin mène à la maison, longue le saule et le cerisier. Quelques marches et c’est le perron, le vestibule carrelé où se déroule l’escalier qui conduit vers les chambres et la salle de bain. A gauche le bureau d’où s’échappe un concerto numéro vingt et un de Mozart. Perché sur la fenêtre de la cuisine, mon frère regarde en riant Rose rincer une tasse de café oubliée par maman. Elle aura pris un train pour Lille. Je l’y ai accompagnée une fois. Un wagon restaurant se dessine où nous avions déjeuné, image fugace et inconsistante. Demain c’est Noël. Les boites en carton des cadeaux une fois déballés, serviront de cabanes magiques, de voitures enchantées, de théâtre de Guignol. Partout les mêmes rires, partout les mêmes sourires, partout les mêmes yeux brillants.
Je ne dors pas depuis plusieurs nuit. J’écoute attentif le silence, le vent qui se lève, la pluie qui s’abat en bourrasques contre les volets fermés, le chant des oiseaux dès qu’apparaissent les premières lueurs de l’aube, le vacarme feutré des camions poubelles. J’entends mon cœur battre, mon souffle hésitant quand les virus hivernaux prennent possession de mon corps comme un champ de bataille. Je me souviens, enfant, j’imaginais d’innombrables combats donnant aux maladies l’apparence de bataillons que mes propres armées devaient défaire ou mourir. Certains soirs j’allais me réfugier dans les draps maternels où je m’endormais rassuré parce qu’une petite main chaude et salvatrice éloignait la douleur de mon oreille. Les rôles s’inversent. Je peine à reconnaître la main de ma mère quand je la prends dans la mienne pour l’aider à marcher. J’aimerais tellement, d’un mouvement de paupières, revenir en arrière, faire demi tour un instant, revivre les saisons perdues, retourner vers les époques innombrables où nous étions vivants et heureux.
L’insomnie me laisse interdit, incapable de discerner à quelle époque je réside. L’obscurité estampe les certitudes, se joue de la réalité. Demain c’est Noël. Je compte mécaniquement le nombre d’invités. Ma grand mère, bien sûr, ses quatre enfants et leur conjoints, trois cousines présentes, deux cousins, un ami de papa, mon frère et puis moi. Il faudra aller récupérer les plats à la Voile d’Or, le foie gras et la bûche glacée poires et marrons au Castel Marie Louise. A-t-on laissé un verre de lait, quelques biscuits au pied du sapin décoré de boules blanches, éteint le feu dans la cheminée ? Nous descendrons trop tard au milieu da la nuit pour surprendre Santa qui aura déjà déposé une myriade de cadeaux parés de papiers et de rubans multicolores.
Impossible de distinguer l’éveil du sommeil qui m’entraine vers les jours anciens. Demain c’est Noël. Je réveillonne seul avec le frangin, une raclette ou une fondue. Vacances à la Plagne. La tempête de neige a vidé la station. A la serveuse qui lui demande si nous sommes saisonniers, Nicolas répond par l’affirmative avant de se retourner vers moi et de me demander ce que cela veut dire. Il a 17 ans. Plus tard dans la nuit nous nous battrons virilement à coup d’édredons avant de nous endormir ivres de fatigues mais contents. Bientôt la poudreuse et les descentes infinies vers les Arcs ou Champagny en Vanoise.
Demain c’est Noël. Une foule dense et attentive attend dans la salle de spectacle de Froyennes que l’Harmonie entonne la Brabançonne. On se tait, on écoute le directeur présenter l’orchestre composé d’une trentaine de jeune adolescents collégiens et lycéens pendant que deux Frères écartent le piano où un jeune élève de quatrième vient d’interpréter La Sérénade de Schubert. C’est mon père, il a quatorze ans. Le même jour, une petite fille blonde remonte le boulevard des Invalides enneigé. Elle vient de rapporter un livre emprunté à la bibliothèque du Collège Lycée Victor Duruy. C’est ma mère, elle a 11 ans. Elle hâte le pas, sa tante Marcelle est attendue pour le déjeuner.
La nuit noire enveloppera Ayamonte, plongeant un voile sombre vers les collines, le fleuve et les plages. Un camaïeu or et rouge s’élèvera lentement du golfe de Cadix peignant le ciel et les ergs. Quelques nuages brûlés encercleront les marais, barbouillant le paysage de tâches fuligineuses masquant maladroitement un traineau retournant vers le Nord. Ma mère me retrouvera dans la petite véranda qui jouxte la terrasse d’où on aperçoit le golf et le Guadiana. Elle aura mal dormi, dérangée par sa chienne effarouchée par le bruit des pétards tirés à minuit. Mon père nous rejoindra. Il me redira que le dîner était parfait, le vin excellent, proposant une promenade ou une partie de golf pour l’après midi. Une clarté nouvelle illuminera la petite pièce où nous prendront avant peu le petit déjeuner tandis que le vent du large chassera les derniers cumulus ébauchant une aquarelle improbable. J’entreverrai dans la vitre inondée de lumière le portrait d’une femme en robe bleue. Quand je me retournerai, elle aura disparu, fugitive, imprévisible. Peut-être une larme coulera sur ma joue. On entendra au loin le murmure des vagues qui s’abattent sur la grève marquant le sable d’une humide empreinte, appel à s’échapper le long du sentier qui chemine vers l’océan, la mer et le sud. Je marcherai seul, accompagné des reliques du passé, espérant qu’une ombre vienne se superposer à la mienne.
Mon dieu…la lourdeur de l’écriture.
Quant à la ponctuation, il serait intéressant de revoir son usage… A bon entendeur !
« Écrire relève de l’espérance. Tu mets la virgule là où tu veux que ça freine et le point là où tu veux que ça s’arrête. Quand tu veux laisser ton idée faire son chemin sans toi, tu rajoutes quelques points. Quand tu t’étonnes, tu peux t’exclamer, c’est pas obligé. Et puis le reste, tu laisses à ceux qui veulent tout expliquer. »
Richard Bohringer, C’est beau une ville la nuit