Vamos a la playa
« Ce soir nous sommes septembre » fredonne Hélène. Quel manque de chance, la fin de l’épidémie nous cueille au printemps avec une météo exceptionnelle. Deux mois enfermés ont avachi les chairs et blanchi les dermes. Le soleil, la lumière nous appellent. Quoi de mieux qu’une plage de sable blond pour oublier l’enfer et redonner vie à nos corps meurtris ? Il y a quelques jours, j’ai bravé l’interdit profitant probablement d’un no-man’s land juridique pour m’approcher de la mer. Une fin d’après midi comme seule la Bretagne sait en offrir. Seuls face à l’immensité liquide. Extraordinaire spectacle, la nature désertée, l’océan enfin vide. Nul bateau à l’horizon, partout le même paysage incroyable et sidérant. Mon regard se pose à l’est sur la pointe de Billiers. Le Domaine de Rochevilaine semble éteint, coupé du monde, hors du temps. Mon imagination glisse vers les jardins probablement entretenus, les chaises et les tables alignées le long des murets, la piscine étonnamment vide pour la saison. Nul bruit, seul le clapotis des vagues en bas de la falaise. Soudain faire le rapprochement entre le nom du lieu et son emplacement : une roche à l’embouchure de la Vilaine. Au loin on aperçoit l’île Dumet puis Piriac qui masque le Croisic. Dans quelques années la vue sera bouchée par un champ éolien en projet sur le plateau du Four. Les mêmes éoliennes offertes au regard des passagers des vols pour Copenhague quand ils survolent l’Øresund avant d’atterrir.
Fermer les yeux. Ressentir une tristesse immense à l’idée que les jardins de Tivoli se sont irrémédiablement éloignés. Hier encore on s’envolait un samedi matin et on dégustait un hot dog local au bord de Nyhavn à midi. Pour quelques centaines d’euro on pouvait programmer un week end shopping au « Magasin du Nord » ponctué de tours de manèges et de concerts en plain air. La tristesse sera la même quand arrivé à la fin de ma vie je prendrais conscience que le champ des possibles est devenu peau de chagrin. J’aimerais y croire pourtant. Croire qu’il y aura encore de beaux voyages, des apéros au bar du SAS Royal Hotel, des pasteis de nata dégustés devant la tour de Belém, des descentes folles en funiculaire entre Cran Montana et Sierre, des dauphins nageant au bord de la plage à Abou Dabi, des dîners composés de crevettes fumée et de gravlax installés dans des chaises en béton sur la petite île d’Åstol, des rêves de Nouvelles Zélande et de Patagonie !
Le beau temps n’en finit pas de révéler ce mois de mai atypique, inédit. Un vent de révolte souffle de l’Ouest animé par de vieux démons. Je croyais avoir trouvé un incroyable open space en plein air, à l’abris d’une plantation de pins maritimes érigés à proximité du Golfe. C’était sans compter la pollution sonore de nos chères voitures qui augmentent mon mal de tête. Un écureuil surpris me menace, prêt à me bombarder. Les mots s’écoulent moins facilement que durant le confinement où le besoin d’écrire devenait survie. Essayer de souffler un peu malgré le bruit incessant de la route trop proche. Les oiseaux ne s’entendent plus chanter. Une minuscule araignée verte passe et repasse devant la clavier tandis qu’une joggeuse hors d’âge gâche mes rêves de jeunesse. Rien n’a plus ni queue ni tête. Les certitudes ont volé en éclats comme le monde d’hier que je croyais connaître. Je ne me réjouis plus de voir un milliardaire mégalomane envoyer deux hommes dans l’espace comprenant subitement que cela ne sert à rien. Vanitas vanitatum, omnia vanitas. Je me sens perdu dans un univers désenchanté. Le sel de la vie a pris l’eau. Les restaurants pratiquent la distanciation sociale, le soucis de l’autre impose de lui parler masqué. La queue partout pour faire ses courses sans trainer. J’ai aimé le silence omniprésent de ces 55 jours. J’ai aimé les rues vides de la fin de l’hiver. J’ai aimé penser que l’espoir renaitrait des cendres des malades du Covid. Sic transit gloria mundi.
Quel vilain enfant gâté ! Sous le soleil en Bretagne, la mer qui me tend la main, la nature explose à mes yeux, un parfum maritime exhale des senteurs iodées. Tout est invitation au voyage et aux jours meilleurs. L’avenir s’offre à moi tel une femme infidèle. Il suffit de cueillir les fruits promis. Je suis mon maître et je n’en connais aucun. Blasé peut-être. Quel goût avait ce premier petit déjeuner à la terrasse d’un café de l’après confinement ? Une petite photo pour les réseaux sociaux et se donner des airs de vivre ensemble. Peut-être n’était-ce pas le bon café, la bonne terrasse, la bonne ville, le bon pays, la bonne planète ? Excès d’attente tue l’attente. Une page se tourne, celle des soirées endiablées. Exit les mojitos, les picons bière, les b52, les demis pas toujours frais. La fête est finie, trépassée à l’approche de la cinquantaine. Demandez le programme ! Sagesse et tempérance.
On n’efface pas aussi facilement trente années passées dans les cafés et les bars. Je revois milles moments, milles anecdotes, de la magie parfois, des rires, quelques embrouilles. Ai-je vraiment failli mourir parce que la jeune compagne du moment d’un caïd nantais avait jeté son dévolu sur moi ? Les flingues étaient de sortie. Didier Legrand m’a–il sauvé ? Ai-je oublié le sourire et le regard vert de D ? On se cherchait souvent, drame de la séduction. Puis ce verre de trop, rue Scribe, qui devenait finir de nous désinhiber laissant la porte ouverte à une séquence que la morale et une certaine pudeur m’interdit de dévoiler. N’ai-je pas inventé ces baisers passionnés échangés avec une inconnue tout juste rencontrée sur le zinc qui devait le lendemain s’envoler pour Sydney rejoindre l’homme qui partageait sa vie ? Toutes ces vies croisées, ces regards échangés, ces sourires. Un virus aura eu la peau de ces milles miracles, appelant mon âme vers des lieux plus paisibles et moins alcoolisés. Je sens une infinie tristesse à refermer ce livre. Arrêter quel vilain mot. Je jette un œil à la fenêtre qui donne sur la terrasse de l’estaminet voisin. Les verres s’entrechoquent, le verbe devient plus haut. Que les filles sont belles. Tchin !