Chroniques

Porto final

Voyage imprévu sur les rives du Douro. Les bords du fleuve semblent inéluctablement offerts à une foule bigarrée qui déambule en quête peut-être d’une cour cachée, abritée du soleil, où elle dégusterait des croquettes de morue ou de la francesinha, sorte de croque-monsieur en sauce, accompagnées d’un demi de bière bien fraîche ou d’un verre de vin blanc local.

Porto a changé. Je ne suis pas venu depuis 7 ans et je reconnais à peine les rues qui descendent vers les quais, longent le marché couvert Ferreira Borges, qui accueille aujourd’hui un restaurant et une discothèque, avant de se jeter sur la place Ribeira. Partout des enseignes nouvelles, des bâtisses rénovées qui abritent des locations de tourisme. Il faudra plus tard se perdre dans les ruelles qui bordent la Sé pour trouver des immeubles anciens, pour la plupart délabrés. Ici un toit détruit par un incendie, là une façade qui tient uniquement grâce aux poutres métalliques et rouillées qui l’étayent, des peintures livrées à la lune composent une palette inédite qui enlumine des habitations d’un autre âge. J’apprendrai plus tard que la ville a souffert au XIXe siècle de guerres et de conflits commerciaux et d’une migration des habitants vers les faubourgs laissant derrière eux des quartiers centraux en ruines et en délabrement.

Plus loin, l’embouchure du fleuve et l’océan, le quartier de Foz desservi par de vieux tramways désormais dévolus aux vacanciers. Prix et slogan ne trompent pas : sept euros pour un aller retour dans le « Porto Tram City Tour » ; voitures bondées dans lesquelles il est rare d’espérer une place assise. L’accès à la plage et aux digues est impossible. Sans explication, une file continue de barrières et de blocks en béton borde le front de mer. Nous croisons quelques pèlerins en route pour Saint Jacques de Compostelle aisément reconnaissables à la coquille qu’ils portent sur leur sac ou leur chapeau. Le long des jardins Passeio Alegre, les immenses villas contrastent avec les bâtiments qui côtoient les berges. Sur les hauteurs, des constructions modernes reflètent le soleil de midi. Un vent de saudade nous porte rua Senhora da Luz où nous flânons le long des quelques boutiques ouvertes avant de faire une pause dans un café pittoresque à l’angle de la rue de la fontaine, où quelques tables jetées sur le trottoir accueillent touristes et habitants des alentours. Je bois un café tiède en silence, portant mon regard vers l’échoppe improbable qui jouxte la chaussée, songeant à ce Portugal que je ne reconnais pas.

Il aura fallu une grève du personnel de bord de la compagnie EasyJet pour que je revienne dans la région nord. Le texto est arrivé juste avant le début de la visite de l’aquarium de Lisbonne : vol annulé, avec un lien indiquant la démarche à suivre. Nous avons opté pour un retour via l’aéroport de Porto, prolongeant de deux jours notre séjour au Portugal. Deux jours de vacances volés, un trajet inédit à bord de l’omnibus qui relie Porto à la capitale lusitanienne depuis la gare de Santa Apolónia où, pressés, nous ne prenons pas le temps d’admirer les murs carrelés alors que nous achetons les billets. Le voyage me rappelle mon retour en France, il y a deux ans, depuis Huelva via Madrid. Un même sentiment m’habitait alors que je traversais seul, ou presque seul, l’Andalousie et la Manche, à grande vitesse, à bord d’une voiture de la Renfe. Le train a à peine le temps de prendre de la vitesse entre chaque arrêt. Nous voyageons à bord de vieilles voitures identiques à celles qui composaient les « COmfort,RApide, Interurbain, Léger » lancés au milieu des années 70. Ont-elles été cédées à la compagnie ferroviaire portugaise au fur et à mesure de leur abandon par la SNCF ? J’ai lu que prendre l’avion c’est se déplacer. En train on voyage. Quoi de plus vrai ?

Dois-je le dire ? Dois-je l’écrire ? C’était charmant. C’était charmant, à la gare de Campanhã, de grimper dans un vieux taxi Mercedes pour traverser la ville après avoir traversé le Douro sur le pont São João. C’était charmant de découvrir notre logement éphémère situé face au marché rénové de Bolhão. C’était charmant, les valises à peine rangées, de filer vers l’ancienne station de São Bento où plus de 20 000 azulejos ornent le hall et rappellent l’histoire portugaise du XIIIe au XVe siècle, de s’attarder pour quelques photos, poursuivre la promenade rua Das Flores, flâner de vitrine en vitrine, éblouis par les édifices dont les balcons fleuris plongent vers le fleuve.

Demain un arabica bu au comptoir me rappellera les heures portuanes. Je songerai, fixant la pluie lourde et compacte, à ces journées fortuites et colorées croyant entendre encore le murmure presque familier de la ville. Quelques images fugitives défileront, comme projetées par un kaléidoscope, tissant une passerelle invisible entre le Portugal et la Bretagne. On y verrait une mosaïque, bleue et or, baignée par les eaux sombres du Douro, la silhouette du pont Dom Luis où une cohorte chamarrée se dirige vers les jardins do Morro surplombant l’arrivée du téléphérique qui exhume de la mémoire le souvenir d’un périple ancien en Croatie juste après la guerre. Ai-je rêvé un lapin géant au milieu des chais qui jouxtent les halles de Beira-Rio ? Peu à peu les réminiscences se verront diluées, presque délavées par l’averse qui n’en finira plus de gommer les couleurs, rendant incertains les événements passées.

A la gare de Lorient, le TGV de 9h52 supprimé, je prendrai place dans l’espace de coworking qui surplombe le hall et les quais, dans l’attente d’un hypothétique TER. Au loin une grue indiquera le sud dans l’attente d’un nouvel élément de béton. En sous-main, quelques notes éparses prises ces derniers jours : « là-bas, tout est terne, sans sourire. Comme si un voile fuligineux jetait une ombre mélancolique sur les bâtiments et les gens. Je n’ai pas hâte de rentrer ».

Bientôt je retrouverai l’ancienne capitale bretonne, ses rues pavées, le murmure incessant du vent qui s’engouffre vers la cathédrale Saint Pierre et vient caresser le visage des gargouilles moqueuses. En face, une couverture verte attirera mon attention dans la devanture du Silence de la mer d’où se détacheront quelques lettres blanches : La MAISON. Ultime invitation vagabonde du château d’Argol aux rivages lointains du Farghestan.

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