Nantes, passage Pommeray
Chroniques

La forme d’une ville

6:15 réveil forcé par une quinte de toux. 8 jours pourtant que je prenais sirop et paracétamol (paracemétol aurait dit ma mère) matin, midi et soir. L’épisode bronchitique s’éternisait. En d’autres lieux, en d’autres temps on m’aurait envoyé en cure à la montagne. Époque pas si ancienne : je discutais récemment avec un couple retraité qui avait dû quitter la Bretagne pour le Doubs à cause de leur fils malade. Je traînais un peu au lit, dehors le silence glacial. Je tentais de parler, ma voix revenait lentement. Ne pas forcer, continuer à chuchoter, se réjouir des regards compatissants, Calimero. Le mutisme est un enfermement volontaire, une manière comme une autre de dire aux autres « foutez-moi la paix » et de revenir sur soi, à la fois introspection et catharsis. Guérir de l’intérieur, sans médicament.

Sur mon Phone qui a pris le relai du carnet en cuir bleu Moleskine, j’avais noté ces quelques mots :

« Coincé sous la couette, je fais du rab. La journée va être longue et je n’ai rien à faire, enfin presque rien. Je pars en voyage, c’est tout, comme dans une chanson de François Hardy. Le train pour Nantes est annoncé à 17h10. »

J’emportais avec moi un petit livre de Patrick Calais sur les Variations Goldberg. En filigrane l’espoir de profiter de la semaine libre, qui se profilait, pour prendre rendez-vous avec un chantier abandonné : aria – chapitres – aria.

La valise fermée, un baluchon aux épaules, la porte de l’appartement s’était refermée d’un claquement sec et mat. Le sapin passerait Noël seul.

Ce matin là quelques mots griffonnés sur une feuille d’une écriture gauchère mais sûre d’elle m’avaient rempli le cœur de tristesse et d’amertume. On croit être un bon père, on rame parfois, souvent. On essaie, on découvre que la vie n’est pas comme dans les livres. Oubliés Dolto et Aldo Naouri, place à l’improvisation chaque jour renouvelée, réinventée pour tenter de donner les bonnes armes au futur grand homme.

Car je ne voyageais pas seul.

Gare de Vannes, une jeune meute d’étudiants en vacances avait pris d’assaut le train bleu à peine mis en place le long du quai numéro 2. Voyage sans charme sous un ciel gris. Nous traversions la campagne. Quelques arrêts s’égrènerent avant notre correspondance à Redon : Questembert, Malansac.

A Redon, le TER 858224 attendait sagement sur le quai numéro C que nous prenions place à bord. Le soleil venait de disparaître. Première soirée d’hiver.

La journée avait filé plus vite que prévu. Déjeuner de Noël en tête à tête au Parc du Golfe dans la brasserie qui borde le quai, trait d’union entre la ville et la petite mer, qui mène non loin aux chantiers où naissent des géants de carbone. Instant volé, en aparté. Dehors la terrasse vide rappelait l’été, un dîner chèrement gagné après une route impromptue.

Je ne voyageais pas seul, donc. Mon fils m’accompagnait.

Notre voiture trouait la pénombre. S’arrêtait, repartait. Ballet incessant de bourg en bourg faiblement éclairés qui rappelait involontairement une formule lapidaire d’André Gide : « Famille je vous hais ». Derrière chaque fenêtre, on imaginait des canapés cossus, des cuisines IKEA, le téléviseur 4K bientôt renouvelé distillant son catéchisme quotidien. Je me fendais d’une remarque narquoise :

« C’est toujours un peu pathétique les décorations lumineuses dans les petits bleds à Noël. »

Le pont de Cheviré jetait un ruban lumineux d’une rive à l’autre de la Loire. Bientôt Chantenay et les derniers tunnels qui donnent accès à la ville. Un cargo éclairé balisait le fleuve. Nous arrivâmes à Nantes peu avant 19 heures.

La cité bretonne a changé depuis les années passées au lycée Livet où je suivais les cours des classes préparatoires aux grandes écoles d’ingénieur après l’obtention de mon baccalauréat. A l’époque déjà une certaine insécurité régnait dont je faisais les frais certains soirs quand je devais enjamber des zonards pour accéder au hall de l’immeuble rue de Gorges où je louais un studio dont les fenêtres donnaient sur la place Royale. Nuit et jour, le bruissement incessant de la fontaine, amplifié par l’espèce de cirque que forment les immeubles qui bordent la place, rappelait le murmure familier d’une cascade abandonnée enfouie au cœur des forêts du Jura.

L’opéra Graslin accueille aujourd’hui, autour de lui, un vaste espace dédié aux bourgeois bohème où on peut pêle-mêle boire une Smithwick dans un pub irlandais, découvrir la cuisine du Pakistan, se gaver de kimbaps coréens, avaler un saucisson lyonnais en brioche. Les terrasses profitent des nouveaux espaces piétonniers, se déploient de rue en rue comme un serpent tentaculaire qui invite à se fondre dans la masse d’un monde nouveau.

Plus bas le marché de Noël avait pris place autour de la statue, allégorie de la ville de Nantes tenant à la main le trident de Neptune, chalets blancs et rouges disposés en cercle autour des nymphes. Une odeur de vin chaud se dégageait. Nous le traversâmes, curieux, jetant des regards distraits vers les étals proposant jouets en bois, charcuterie de pays, articles artisanaux et peluches asiatiques.

Soirée de retrouvailles éphémères avec des lieux qui constituaient mon quotidien. Rue Contrescarpe, quel joli nom, nous passons au numéro 5 devant l’entrée de mon ancien appartement. L’immeuble a été mis en lumière pour les fêtes. On y retrouve les mêmes couleurs LGBT qui se déclinent dans le centre-ville ayant provoqué une polémique obligeant la Maire à faire une mise au point : « Évidemment qu’à Nantes on aime Noël ! ». A l’angle, la rue Rubens. Les commerces de bouche ont disparu, fromager, boucher, poissonnier, au profit de boutiques de prêt à porter. Même l’ancien café Le Scribe où j’avais fait la connaissance de Fredy Belaud, s’est transformé en boutique chic. Seul subsiste ,au milieu de la rue, un ancien bar, dont le nom m’échappe, lui aussi métamorphosé en boîte à bobos. Je revois Claude, le serveur de l’époque. Sa voix lointaine murmure à mon oreille tandis que le sourire de Dominique E. rappelle une nuit d’ivresse.

Vingt heures. Il fallait trouver à nous restaurer. Un fil invisible me conduisait vers les lieux des jours anciens. Nous nous retrouvâmes attablés dans l’antique taverne de Maître Kanter, désormais rebaptisée, on y boit de la Heineken, où je dînais certains dimanches avec mes parents quand ils me raccompagnaient. A l’été 1998, je crois y avoir dégusté une choucroute au milieu de la nuit avec mon amie Fanny à l’occasion d’une victoire de la France lors de la coupe du monde de football. La fête avait duré tard laissant les établissements ouverts. A l’époque de Chirac, on pouvait encore s’amuser !

Je choisis un jarret braisé aux pommes paysannes qui figure toujours parmi les incontournables de la maison. Quand j’avais 20 ans il était servi sur un plat que le serveur posait sur un support et un chauffe-plat. En 2023, l’assiette qui m’est présentée n’a plus rien à voir avec le plat de ma jeunesse. Un morceau de porc dont on aura tenté de masquer le manque de goût par un peu de miel, une sauce industrielle et inutile, des pommes de terre trop salées baignant dans un océan de lardons insipides. Triste époque. Que reste-t-il de nos beaux jours ? Toujours la même erreur ? Vouloir faire renaître le passé. On pense à Nicolas Bedos, à la Belle Époque, au joli film qu’il a réalisé avec Fanny Ardant et Daniel Auteuil.

À Pau en Février, la magie avait opéré davantage, nous entraînant à la recherche d’un temps perdu qui n’était pas le mien. La place de Verdun, la visite de la veille ville transformée où nous retrouvions la porte inchangée qui menait au premier étage dans son petit appartement d’étudiante. Le lendemain sur les traces du circuit automobile en quête du lycée Louis Barthou.

Bientôt le vol vers Faro. Dans le hall abandonné face à la piste, on espère un café impossible. La Brioche Dorée semble avoir pris ses quartiers d’hiver. Au-dessus de nos têtes volent six oies sauvages, mécaniques et pourtant tellement réelles. Elles pointent vers l’est, vers ces jours révolus qui n’existent plus que dans ma mémoire et les pages lues. Je dresse le portrait dilué d’un Monde qui n’en finit pas de mourir. Cependant l’espoir tenace d’un possible embrase mon âme. Le meilleur d’aujourd’hui, le meilleur d’hier. Écrire c’est résister.

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