Journal du confinement (5)
Bientôt trois semaines. Trois semaines avec comme seul quotidien l’épidémie et comme seul avenir le monde d’après. On ne parle que de ça ou presque. J’ai ingurgité une masse incroyable d’informations pour en arriver à une synthèse normande : peut-être bien que oui, peut-être bien que non. Je suis sans doute en colère depuis quelques jours. Je vois progresser les éléments de communication de La République En Marche et du gouvernement français sur le mode : « Personne ne pouvait prévoir une telle épidémie ». De qui se moque-t-on ? Il suffit de cinq minutes sur Youtube pour dénicher des vidéos vieilles de 5 ans ou plus qui expliquent très sérieusement que le risque épidémique est un des risques majeurs à quoi on devait s’attendre. Je ne pense pas que Bill Gates ou Jamy Gourmaud (le créateur de l’émission de vulgarisation scientifique « C’est pas sorcier) soient de dangereux conspirationnistes. Le Télégramme nous apprend que l’armée de l’air a réalisé un exercice du nom de Poker en Bretagne fin mars montrant que notre force de dissuasion nucléaire est pleinement opérationnelle (2). Cela me rassure, pleinement : des milliards pour des bombes nucléaires mais aucun masque FF2P pour nous protéger. Les arguments de la LREM pourraient être déroulés à l’infini qu’ils ne masqueraient pas la réalité : c’est un choix politique.
Des études convergent et livrent toutes le même message : on se serait trompé. Le virus se propagerait de manière aérosole. En d’autre termes, il suffirait de parler ou de respirer à proximité d’une autre personne pour la contaminer. Ce n’est pas une certitude mais une possibilité. Qui se souvient que la démarche scientifique repose avant tout sur des hypothèses et des preuves ? Il n’y a pas de certitude en science. Oui, le principe de précaution aurait voulu que depuis 6 semaines nous ayons tous des masques pour sortir ou aller travailler. Se laver régulièrement les mains n’est probablement pas suffisant. «Se couvrir le visage au moins», c’est ce que préconisent les services de santé américain depuis hier. Il n’est finalement pas si loin le temps ou Marie Curie mourrait d’une leucémie en raison d’une exposition prolongée au radium. Nous ne sommes plus en en 1934. Un siècle a passé. Nos morts se comptent par millier faute de masque et de consignes sanitaires suffisamment préventives : c’est un choix politique.
Je comprends les réactions des médecins qui moquent le nouveau savoir des Français en matière de virologie. «Si tu ne sais pas, tais-toi» disent-ils unanimement. Ils devraient au contraire se réjouir que les gens essaient de comprendre ce qu’est un virus et son mode de propagation pour mieux s’en prémunir. Je trouve rassurant de voir mes concitoyens prendre position dans le débat et donner leur avis. Que croient-ils ces donneurs de leçons prêteurs du serment d’Hippocrate ? Les paroles de leurs nombreux confrères – parfois médiatiques – qui évoquaient une simple grippe il y a plus d’un mois, décrédibilisent l’ensemble de la profession. On aurait dû appliquer le principe de précaution au vu de ce qui se passait en Chine. Pékin a ordonné le confinement stricte de près de soixante millions de personnes faisant construire en urgence des hôpitaux capables de traiter des milliers de malades. Tout ça pour une « grippette » ? Bien entendu, il est toujours plus facile de juger à postériori. C’est pourtant un exercice nécessaire. Il y a un fossé entre ce que la plupart des gens pouvaient être capables de comprendre il y a 2 mois et ce qui leur permet désormais de penser la situation. Ce fossé porte un nom : la connaissance.
Il y aura un monde d’après. Un monde où la rupture sera plus forte encore entre les tenants de l’ancien système – politique et économique – et les citoyens du monde souhaitant vivre sur une planète qui continue de nous accepter comme un invité qui ne se comporte ni en pique-assiette ni en parasite. Doit-on deviner que le Coronavirus participe à la crise écologique qui doit aboutir à la sortie du capitalisme comme le prédisait André Gorz ? Nul ne le sait. La lecture de son dernier ouvrage, Ecologica paru en 2008 chez Galilée laisse pantois. Fabien Ferri en a fait un compte rendu que je vous invite à lire (3). Rétrospectivement, certains argumentaires sont glaçants. «Gorz a présagé avec une grande clairvoyance le devenir de notre monde comme un engouffrement dans la catastrophe économique et écologique. […] Le problème étant que l’intégration des contraintes écologiques dans le cadre de l’industrialisme et de la logique du marché propres au capitalisme a pourconséquence de substituer à l’autonomie du politique une expertocratie.» La dernières assertions sonne comme un rappel prémonitoire alors que nos éminents spécialistes se déchirent autour des vertues thérapeutiques de la chloroquine et que les décisions politiques qui nous concernent son prises en concertation avec un comité scientifique composé de neuf hommes et deux femmes.
Le monde d’après donc. Hier un de mes amis facebook – c’est le terme consacré, même si on ne se connait pas – s’est insurgé violemment contre « le monde sur le périphérique parisien aux sorties vers l’A13 et l’A6 cet apm.», ajoutant «En synthèse… vous êtes cons ? Très cons ? Ou les deux ?». Nul doute que les quelques milliers de crétins égocentriques qui auront posé des vacances pour fuir le confinement en famille dans le sud ou la Normandie, n’auront pas une réelle responsabilité dans l’évolution de l’épidémie. De quoi sont-ils pourtant coupables ? De privilégier leur confort personnel au détriment de la santé, peut-être de la vie d’autrui ? Mais n’est-ce pas ce que nous faisons tous quotidiennement en nous engouffrant dans une sur-consommation effrénée qui détruit les emplois de nos voisins et exploite une partie des habitants de la planète, esclaves d’un système qui doit produire toujours plus pour continuer d’exister ? Le capitalisme est un cancer dont nous sommes les cellules altérées. Le confinement a pour nombre d’entre nous un impact quotidien sur notre manière de consommer. Il nous rappelle à l’essentiel. J’aimerais être totalement certain de ce que je viens d’écrire. J’ai des doutes pourtant. De gros doutes, j’avoue, sur la sagesse de l’Homme. J’eusse aimé apprendre que les Français s’étaient massivement mis à lire au lieu de bouffer de la télévision comme jamais. Les délais de livraison s’allongent sur Amazon, leurs entrepôts grouillent de petites mains en train de sacrifier leur santé – ils n’ont guère le choix, il faut bien manger – pour l’agrément des cadres coincés à la maison en télétravail. La consommation de tabac explose depuis un mois. Des milliers de retraités se ruent sur les marchée deux fois par semaines faisant fis des consignes de distanciations sanitaires et s’exposant à la maladie alors qu’ils sont les plus vulnérables. Le monde d’après ? Ce sera plus de travail pour remonter une économie mise à mal. Dans quelques années tout sera oublié et la danse macabre pourra reprendre ses droits.
1. The next outbreak? We’re not ready | Bill Gates , https://youtu.be/6Af6b_wyiwI
3. https://www.cairn.info/revue-mouvements-2011-4-page-155.htm