Chroniques

Journal du confinement (4)

Chronique expresse. Le temps presse. Ce matin je suis retourné travailler muni du justificatif de déplacement professionnel ad hoc. La sensation de temps disponible m’a fait tourner la tête. La réalité est tout autre. D’après les études de psychologues sur le confinement, c’est tout à fait normal. Ça serait même bénéfique (1). Je serais dans une phase d’auto-actualisation, prenant un peu d’avance par rapport à l’évolution de la pandémie. On me conseille d’en profiter pour accélérer des changements dans mon style de vie et mon travail. C’est pourquoi je suis retourné à mon bureau.

Le confinement, via le recul et le nouveau mode de vie imposé, a modifié mon approche de l’existence. Je prends conscience que ce qui me semblait impossible hier, n’attend que moi pour se réaliser à condition de changer la manière de faire et de gérer le temps. A titre d’exemple, cela fait des mois que je ne réussis pas à adopter un régime me permettant de perdre du poids. J’ai pourtant tout lu sur l’index glycémique, acheté des livres de recettes, établi des listes de courses avec les produits phare. Depuis 10 jours j’ai perdu 2 kg. Plus de café, plus d’alcool, plus de viennoiseries à 16 heures, plus rien a grignoter à part des pommes. Je n’ai plus pensé à mon poids, j’ai vécu avec ce que j’avais. Bingo ! Principe de réalité.

La réalité je me la prends en pleine face : dans 10, 20, 30 jours il va falloir reprendre une activité normale. Ça va être le struggle for life. Il n’y pas pas que le Coronavirus qui tue les plus faibles, c’est la spécialité de notre société moderne. La France a un taux de suicide de 12,3 pour 100 000. Nous sommes 67 millions, le calcul est simple : 8241 morts par an. Le nombre de décès liés au Covid 19 semblet tout d’un coup relatif. Bien entendu le bilan épidémiologique sera lourd, très lourd mais en partie invisible.

J’ai traversé peu après 9 heures un centre ville presque désert. Deux personnes attendaient devant la boucherie Massé éloignées d’au moins deux mètres l’une de l’autre. A l’intérieur le boucher portait le masque de rigueur pour servir une cliente. Scène un brin surréaliste à laquelle nous nous habituerons. Du monde aussi au tabac presse place Henry IV. Rien n’arrête les fumeurs, pas même les nouvelles alarmantes qui les placent comme victimes favorites du SARS-CoV-2. Croisé deux trois passants rue de la Monnaie avant d’arriver au « bureau ». Deux trois urgences à régler avant de jeter un regard plus général : et maintenant que faut-il faire ?

Une seule certitude : l’épidémie va prendre fin un jour. A cet instant il faudra être prêt pour avoir une chance de naviguer, au propre comme au figuré. Etre prêt c’est d’abord rester en bonne santé, continuer à appliquer les gestes barrière et limiter les liens sociaux. Ensuite c’est mettre en place un vrai plan de bataille pour que mon activité économique reprenne vite et le plus tôt possible. Je gère des commerces de détail dans le secteur du prêt à porter. Au delà des soucis comptables et de de trésorerie, il est vital de prévoir une relance rapide de l’activité. Rassurer les clientes sera nécessaire.

J’écris ce billet rapidement entre deux tâches. Je viens de finir de lister une première série de vêtements que je vais proposer en mode vitrine sur le tout nouveau e-shop que je viens d’installer d’une de nos boutiques. L’idée est de montrer un maximum de ce que nous avons à vendre pour déclencher des envies d’achat quand nous serons à nouveau ouverts. Dans le même temps je vais proposer des cartes cadeau valables dans notre boutique de Vannes sur tous les vêtements et accessoires en une ou plusieurs fois sans limite de temps. J’espère ainsi percevoir un soutient financier avant la réouverture. Je suis dans le brouillard : il faut essayer.

Déjeuner rapide. Deux minutes chrono au micro onde pour réchauffer un hachis parmentier qui rappelle la conquête spatiale. Ni bon, ni mauvais : efficace. On songera à se taper un bon gueuleton en terrasse quand ça sera à nouveau permis. Dommage, il fait si beau ce midi. Je le vois déjà le mois de mai 2020 pluvieux en Bretagne. Lavage de mains et tasse de thé avant de réattaquer. Jardin du Luxembourg des frères Dammann. Cela rappelle Nerval évidemment. Deux petits pots de confiture, framboise et orange marmelade, trainent sur une étagère, ceux-là même servis avec le petit déjeuner continental de nombreux hôtels. Heureuse découverte ! Un passage éclair à la boulangerie et voilà déjà un projet de chouette brunch ce week-end avec oeufs brouillés en prime. A chacun ses petits plaisirs.

Je regarde par la fenêtre. Songeur. Une dame agée traverse la place avec un chariot à roulette. Elle réajuste un masque qui cache une partie de son visage. Encore une qui n’a rien compris. Déficit d’explication. Etonnant tout de même de croiser des particuliers masqués : où les trouvent-ils ces fameux masques ? Priorité aux soignants, non ? Peut-être me reste-t-il une boîte de masques périmés dans la cave ? Je m’en servais pendant des travaux de ponçage de murs. Le plâtre et l’enduit se répandaient en une poussière tenace. Seraient-ils utile ? Penser à aller voir en rentrant.

Demain nous serons le 28 mars. Mon fils aurait dû aller jouer une compétition de qualification pour le championnat de Bretagne de Golf Junior à Val Queven. Sa saison sportive va être bouleversée. Il compte bien se rattraper cet été. J’espère que ses camarades vont bien.

C’est étrange tout de même de se retrouver seul ici. Tout est étrange. La raison oscille entre espoirs et craintes post-apocalyptiques. Le téléphone ne sonne plus comme avant. Aucun message sur le répondeur. Tout s’est arrêté. J’ai allumé une lampe de bureau pour apporter un peu de continuité. Je sais que je vais devoir travailler avec cette interrogation lancinante qui obscurcit mes pensées et me réveille au milieu de la nuit : et après ?

1 – https://seasonly.fr/blogs/news/les-5-phases-psychologiques-de-la-quarantaine

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