Jour d’automne
Chroniques

Jour d’automne

Sur le perron de son bar-hôtel-restaurant Jeannine accueille les premiers clients vêtue d’un ensemble pantalon-saharienne couleurs beiges et noisettes. Une saison en chasse une autre, renvoyant dans les placards les bermudas blancs, les chemisiers en coton céruléens, les tenues légères et les robes à fleurs. Nous ne regarderons plus sous les jupes des filles avant quelques mois. Déjà ce matin la froideur hivernale se faisait d’avantage sentir, les premiers manteaux étaient de sortie. Une vague langueur pénétrait mon cœur qui n’est ni de Verlaine ni de Nerval, mélopée sourde dont on aurait dit qu’elle descendait des landes armoricaines vers l’océan. Le ciel azuré avait cédé sa place à quelques nuages tristes et cendrés. L’eau calme du Rohan s’était mélangée aux gouttes de pluie.

Il y a quelques semaines nous nous enivrions de spritzs et de mojitos glacés espérant la fraicheur du couchant sous les tonnelles qu’éclairaient des lampions multicolores. Les journées s’allongeaient à mesure que nos ombres suivaient la course du soleil. Nos corps dénudés étendus sur le sable chaud attendaient alanguis la baignade salvatrice tandis que bruissaient les vaguelettes sur la grève. La belle saison semblait ne jamais devoir finir, été indien prolongeant les vacances qui donnait à septembre des airs de juillet. Dimanche encore nous nous attardions sur les rives de la ria d’Etel pour l’apéritif d’abord puis pour dîner profitant probablement de la dernière soirée de la saison propice à souper dehors. Les rires fusaient. 

Ce matin j’ai retrouvé la salle feutrée de l’Océan, café situé face au port que j’avais déserté en raison de la mise en place du pass sanitaire en août 2021. Rien n’a changé hormis quelques lampes nouvelles qui viennent charger la décoration. Manquent-ils quelques habitués ? Nul ne résiste au covid et au temps. Un signe de la main à Bertrand, un sourire à Domitille. Des groupes ont disparu, d’autres se sont créés. Tout le monde se connaît. Ai-je perçu de la surprise dans certains regards ? Qu’étais-je devenu ? Le flux automnal m’aurait-il ramené au bercail ?

Rue Saint Vincent les derniers touristes baguenaudaient insouciants à la recherche de la cathédrale ou d’une crêperie pour le déjeuner. Espéraient-ils profiter d’une terrasse à l’abris des éventuels bourrasques bretonnes ? On flânait main dans la main, on s’embrassait faisant fi du crachin oublié. Equinoxe  sans tempête qui voit jour et nuit renvoyés dos à dos d’une unique et même durée. Il faudra s’habituer aux réveils dans le noir et aux retours nocturnes que repousseront les premières heures de l’hiver.

Un vent de saudade souffle sur l’Armorique, la France et l’Europe alors que s’éloigne l’ancienne assurance d’un continent en paix. Avec le froid, la pluie et le mauvais temps reviennent les pensées sombres que la chaleur et la lumière avaient estompées. La menace croissante de guerre et de lendemains qui déchantent se fait plus prégnante dans le silence funeste de cette première soirée d’automne. Assis dans l’obscurité face à la fenêtre, j’écoute le crépitement de l’averse qui s’abat sur les vitres. Une imperceptible odeur de moisi rappelle qu’en Bretagne on ne chauffe pas pour avoir chaud mais pour lutter contre l’humidité. Un feu de cheminée peut-être ? Un bon livre allongé dans le canapé accompagné par Keith Jarrett ou bien Glen Gould ?

Hier, j’ai fêté la fin de l’été en compagnie d’une amie et d’un grand verre de Saumur rouge. Instants volés confortablement installés sur les banquettes d’un café, encore un, qu’animaient un pianiste et une chanteuse de variétés autour de reprises de Nora Jones et de Supertramp. Malgré le piano mal accordé, l’acoustique incertaine du lieu et l’accueil mi-figue mi-raisin, nous avons passé un bon moment. Avais-je conscience qu’une page se tournait et que je m’enfoncerai bientôt dans un brouillard mêlé d’incertitudes et d’inconnu ?

Demain je me tiendrai debout dans le salon espérant les premières lueurs de l’aube. Un bus remontera l’avenue pendant que bouillira l’eau du thé. Quelques piétons précoces se hâteront vers le marché où déballeront les camelots, maraichers, fleuristes, vendeurs de chaussures et de parapluies. Une lente effervescence montera du centre ville. Dès huit heures, on attendra l’ouverture du bar à vin Chez Fred dont la petite salle sera prise d’assaut par les forains en mal d’un jus fleurant l’arabica. Les conversations iront bon train, en apparence anodines, masquant maladroitement les craintes désabusée des uns et des autres.

Une horde nouvelle de pérégrins envahira l’intra-muros munie de guides verts ou de smartphones en guise de carte à la recherche de « Vannes et sa femme », du quartier Saint Patern et de l’office de tourisme. L’annonce d’une ondée les transformera en silhouettes colorées et capuchées semblables à des télétubbies. Une dernière fois le lent ballet des vacanciers de passage, dont on dirait qu’ils interprètent un sitcom jamais renouvelé, prendra place dans la vieille ville bientôt dépeuplée.

Heureusement il reste les promesses de promenades en forêt alors que les arbres perdent leurs feuilles, la tiédeur fauve du poêle allumé à côté duquel on peut s’enlacer, les dimanches en bord de mer où on se régale d’huitres et de fruits de mer. L’automne saura dérouler le charme désuet de l’éclairage à la bougie, des veloutés de potimaron, des chocolats à la cannelle et de la préparation de Halloween.

Je retournerai errer entre les allées des librairies à la recherche d’ouvrages pour alimenter ma manie du tsundoku et mes prédispositions à la procrastination littéraire. J’y contemplerai perplexe les milliers de livres alignés le long des étagères, les présentoirs remplis du nouveau roman de Guillaume Musso, m’interrogeant sur la vanité de chercher à être lu.

Nos regards plongent vers d’autres ailleurs, d’autres possibles. L’Andalousie bien sûr, l’appartement reste vide et disponible, mais également le Canada quand il sera à nouveau possible d’y voyager sans être vacciné, l’étang de Thau, les pistes enneigées, les rivages irlandais. D’autres ont déjà réservé leur voyage à New York. 

Entre un week-end à Pléneuf Val André et un séjour à Deauville, il y aura du temps. Du temps pour écrire, du temps pour cuisiner, du temps pour badiner, du temps pour aimer.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *