Une fin
Chaque histoire a une fin. Ainsi en fut-il de la pandémie de Coronavirus qui toucha la planète Terre en l’an 2020 et enferma plusieurs millards d’individus dans des prisons dorées sans réelle résistance. Certaines contrées adoptèrent la Novlangue pour faire taire les esprits récalcitrants se référant sans cesse à la Science Officielle pour justifier les décisions prises. On musela les oppositions en instaurant un guide des médias véridique. Des brigades sanitaires virent le jour pour tracer les malades et leur entourage. Tout déplacement devint interdit sauf raison impérieuse muni d’une autorisation officielle. Les contrôles policiers s’accentuèrent renforcés par des drones spécialement acquis par le département d’Etat. Des décrets empêchèrent les médecins de prescrire librement. Chaque soir le directeur de la santé publique égrainait ses chiffres mortifères accentuant la peur et la sidération de la population. Quelques rebelles rapidement matés osèrent écouter Dalida dans la rue. Une secte nouvelle, les Raoultiens, déborda le pouvoir en place qui usa de ses fidèles chiens de garde pour empêcher l’adhésion trop massive de nouveaux adeptes. Ce fut un échec, la parole du Gourou avait été prise pour argent comptant par le dirigeant des Terres de l’Ouest, par delà les Grandes Eaux. L’armée perdit son plus prestigieux bâtiment, obligé de faire route vers son port d’attache, cerné par une vague de contagion à son bord. Le ministère de la guerre se pressa de faire plonger son sous marin le plus récent afin de rétablir son prestige. Le Chef de l’Etat eu l’idée de génie de focaliser les rancœurs sur celle qu’on surnommait la Folle du Roi. Son apparence laissait croire au petit peuple qu’elle faisait partie des leurs alors qu’elle trainait depuis toujours dans les allées du Pouvoir. La contestation ne dépassa pas la création de pétitions demandant le droit d’accéder aux plages et des tribunes dans la presse pour s’offusquer de la vente de masques par les acteurs de la grande distribution. Ceux qui osèrent se moquer de l’Elu furent emprisonnés et questionnés pour quelque jeu de mots. Les quartiers perdus, depuis longtemps abandonnés au trafic de drogue et à la vendetta, se risquèrent à organiser un match de foot. Des juges rouges, en quête de puissance, tentèrent d’abattre le Grand Jeff suivis par des moutons imbéciles qui voulurent trouver dans ce nouvel ennemie la cause de tous leurs déboires alors qu’ils se prosternaient encore en fille indienne vers les comptoirs du Grand Mac.
Les jours précédent la Grande Sortie furent fiévreux. Chacun espérait un feu vert y compris les habitants des régions de l’est cerclées de rouge. La tension grandissait entres les utilisateurs de l’application Distanciation Sociale qui avait vu son utilisation exploser durant le grand confinement. 3 milliards de dollars de plus dans les poches de Grebrekcuz, son inventeur. L’apparition d’un petit émoticône solidaire semblait bien futile face au déferlement de bêtise et de haine qui s’y abattait. Chacun y allait de ses commentaires narquois, moqueurs, blessants, calomnieux ou menaçants. L’envie de retrouver un peu de liberté devenait un moyen de contrôle aussi précieux que la peur de la mort et des sanctions. Le bâton d’abord, la carotte ensuite. Narev, le grand Maitre de la santé, n’avait pas de mots assez durs pour évoquer la responsabilité de chacun dans la déconfiture annoncée. Les masques si longtemps introuvables devinrent produit de première nécessité. Des files immenses se créèrent pour accéder au Graal vendu 1000% plus cher que sa valeur habituelle. Ceux-là même qui hier encore s’agglutinaient le visage découvert dans des espaces clos, réclamaient le droit de sortir masqués. Le fils Crelcel y vit une opportunité nouvelle d’accroitre la fortune familiale tout en s’assurant une publicité gratuite et une posture de Pater Familias qui trompa tout le monde.
Alors que personne n’avait songé durant 8 semaines à encadrer réellement les pratiques commerciales et les usages à adopter face à un virus qui circulait activement, la levée de l’embargo sanitaire s’accompagnait de protocoles fous. On imposait des classes de 50m2 dans les écoles où les élèves devaient maintenir en permanence une distance de 1 mètre y compris pendant les récréations. Le nouvel ordre sanitaire demandait aux enfants de se laver les mains non seulement avant de rentrer en classe mais également après avoir toussé, éternué ou s’être mouché. Certains enseignants réalistes refusaient déjà de participer à cette mascarade, immédiatement ostracisés comme dangereux gauchistes réfractaires. Les tarifs des salons de coiffure explosèrent. Il devenait obligatoire de procéder à un nettoyage complet entre chaque coupe et de s’équiper comme un liquidateur à Tchernobyl. Les boutiques de prêt à porter n’étaient pas épargnées qui devaient considérer chaque cliente comme une pestiférée ayant obligation de porter un masque et de montrer pattes blanches pour avoir la permission d’essayer et d’acheter des habits. Les restaurateurs quand à eux dépensaient leurs derniers deniers pour s’équiper de parloirs transparents et de serres individuelles pour parquer leurs consommateurs. Tout se réinventait, rien ne s’enchantait désormais.
Le grand dramaturge Michel Qebelleuoh partageant sa vision de la crise sanitaire, sortait dare-dare sa plume pour nous avertir que tout serait comme avant mais en pire et qu’il avait tout anticipé, notamment « la diminution des contacts humains ». L’éternelle question était dans tous les esprit : comment serait-ce dehors ? Non pas cet extérieur quelque fois entrevu lors d’une sortie nécessaire, non, cet extérieur nouveau peuplé de visages masqués ou l’autre s’apparentait à un vecteur potentiel de maladie et de mort. « Jamais la mort n’aura été aussi discrète qu’en ces dernières semaines. Les gens meurent seuls dans leurs chambres d’hôpital ou d’Ehpad. » proclamait Qebelleuoh. Jamais la mort n’aura été aussi prégnante lui répondirent psychiatres et psychologues dont les cabinets croulaient sous les demandes des néo-patients victimes de la folie ordinaire. On ne comptait plus les suicidés et les jeunes sans antécédents atteints de bouffées délirantes aiguës : «Je suis le Covid, je suis le virus». Les images et les chiffres se succédaient depuis 2 mois pour marquer les esprits. Le site internet de l’Université Johns Hopkins qui recensait le nombre de victimes du Covid-19 par pays dépassaient le milliard de visites quotidiennes. Peut-être mourrait-on discrètement, mais l’Humanité venait de prendre conscience collectivement de sa mortalité.