Ça va passer. Ça va aller.
Retour à l’écriture. Un dimanche de novembre avant le temps. La pluie en rafale qui s’abat contre les volets. Je remonte la couette. Nuit noire dans la chambre. Il est encore tôt. Une tasse de Lady Grey me sort de ma torpeur. Les pancakes maison ont un drôle de goût : j’ai du me résoudre à remplacer la levure par du bicarbonate et utiliser du lait de soja faute de mieux. Le Maple Joe sauve un peu la mise. J’ai joué, j’ai perdu. « Le gagnant a tout raflé » Est-ce ce temps pluvieux qui me conduit vers les jours anciens ? La porte fenêtre donne sur le jardin. A l’époque elle n’a pas encore été remplacée et les petits carreaux jouxtent la terrasse en pierres. Je ne sais pas l’âge que j’ai. Celui où on commence à souffrir d’être trop sensible. Les paroles en anglais restent incomprises mais le mal est fait, il se répand insidieux, tord le cœur, le corps et l’esprit. Des larmes coulent, inutiles. Enfant, ai-je été baigné dans la saudade sans le savoir ?
Nouvelle bouchée. Le sirop d’érable ne parvient pas à masquer une lointaine amertume. Dehors l’été fait de la résistance. Il se pourrait que certains vacanciers affluent finalement vers le port. Les terrasses prises d’assaut par une cohorte de touristes en mal d’air pur et de liberté retrouvée. Au diable le pass sanitaire ! Ce soir le bateau de Belle Ile charriera sur nos rives des pérégrins ivres de mer, de vent et de soleil. Ils profiteront de leur dernière nuit bretonne avant de repartir repus vers leur grisaille parisienne. Pendant ce temps je continuerai à arpenter les ruelles vides de la vieille ville. Un jour je marcherai rue Saint Guénaël en quête du vieux châtaignier place brulée avant de m’enfuir par la porte prison. Loin, très loin de Vannes où je ne reviendrai plus.
Les vieux rêves de voyage se réaliseront. Je descendrai le Guadalquivir entouré de l’esprit des djinns, flottant sur la brume matinale qui me mènera de Seville à Cadix. Plus loin je ferai route vers le Cap Saint Vincent avant de pointer l’étrave vers le nord. Peut-être l’Ile de Man avant de rejoindre le Caledonian Canal puis la mer du Nord et les archipels scandinaves. Oserais-je m’aventurer vers les aurores boréales où des groupes d’orques tapageurs aiment à venir jouer avec les navires ? Peut-être pas seul. Je pense à un bouffeur d’océan pour m’accompagner. A deux on se sent plus téméraires. La méprisable période que nous traversons aura tout de même eu ce mérite : nouer des amitiés nouvelles.
Je suis seul pourtant. Seul à supporter le vacarme incessant d’une vieille blondasse irrespectueuse. J’attends le moment fatidique où elle viendra toquer à ma porte pour quémander un document administratif que j’ai la flemme de remplir. « Die Hölle, das sind die Anderen » s’exclamait Garcin. En allemand ça sonne bien aussi. Cet autre, inconnu, qui lie sa vie à la mienne, m’entraînant dans la stupeur et le désarroi. Hier Australien, aujourd’hui Autrichien, demain Slovène ou Bosniaque. Il ne courbe pas l’échine, au contraire, fier de contribuer au système, présentant son QR code béni. On commence à entrer dans le dur. Les pleins pouvoirs pour le pass jusqu’en juillet. « Ausweis bitte ! ». Dans le même temps la censure numérique se poursuit. Le compte Youtube du Courrier des Stratèges supprimé. Mon fil d’informations Facebook filtre la quasi totalité des publications de mes 3200 amis depuis 5 jours. Que faire face au monopole des GAFAM qui contrôlent et orchestrent l’information ? « Avec mon petit blog j’avais l’air d’un con » aurait chanté Brassens.
J’ai choisi le mauvais camp. Celui des nuits sans sommeil. Celui des réveils agités. Celui des paroles qui blessent. Celui de la misère sociale. Celui qui va peut-être stopper net mes ambitions littéraires. Je suis un paria, un métèque, un juif errant. Hier je suis allé déjeuner au restaurant. Hier il faisait froid en Bretagne. J’attendais que soit prête la commande à emporter. « Vous n’allez tout de même pas manger dehors ! Y’en a marre de ce pass ! Venez, entrez. En cas de contrôle vous filez par les toilettes, il y a une porte qui donne sur la cour. ». Scène surréaliste. En France, en 2021.
Hier, nième manifestations anti-pass malgré le froid et le retour des injonctions préfectorales sur les rassemblements et le port du masque. L’ambiance bon enfant des jours d’été a disparu. Lassitude et colère prennent le pas. L’insurrection couve. 6 millions de français sont vus comme des citoyens de secondes zones. Ce n’est pas moi qui l’affirme mais le Pr Sicard, président du comité national d’éthique au sujet des non vaccinés : « On ne peut pas garder les avantages de la citoyenneté et de la sécurité sociale en se marginalisant. ». Propos surréalistes. En France, en 2021.
On ne peut pas résister sans ligne d’horizon. Mon regard se porte vers l’Andalousie. Vol prévu dans 4 semaines, le 18 décembre à 15h30. Pour le moment seul un test PCR est exigé. Pour autant tout peut se compliquer d’ici là. Nous ne sommes pas à l’abri d’un nouveau revirement des autorités. Les frontières peuvent être à nouveaux fermées, les vols annulés. Dans un Monde devenu dystopique, l’impensable d’aujourd’hui devient la réalité potentielle de demain. J’aimerais entendre une voix murmurer : « Ça va aller, ça va aller. Ce n’est qu’une période. Ça va passer. Ça va aller ». J’aimerais de nouveau jeter mon regard vers les collines d’Ayamonte où se reflète le soleil du matin. J’entends déjà les vagues qui échouent sur la grève et bruissent d’une litanie pleine d’espoir : « Ça va aller, ça va aller. Ce n’est qu’une période. Ça va passer. Ça va aller ». Il y aura de nouveaux des rires. A nouveau des sourires. Des baisers échangés. L’oubli se chargera de nettoyer les grains de sable du passé comme la marée qui efface les dessins sur le plage. Une période nouvelle s’annonce dont le scénario reste à écrire. Ecrire c’est résister. La petite voix m’accompagne : « Ça va aller, ça va aller. Ce n’est qu’une période. Ça va passer. Ça va aller ».
Magnifique de justesse et de mélancolie.
Enfin une voix en écho de mes pensées, inquiétudes, tristesses.
Merci.
Et oui, ça va aller, ça va passer, si on se tient la main, la plume ou le sourire. Las, tendu ou blasé, mais sourire.