En voyageant, en écrivant

PRÉLUDE

Quelques notes éparses noircissent les feuilles du cahier que j’ai emporté avec moi. C’est rassurant d’écrire, de transposer entre les lignes les projets futurs. L’écriture leur donne vie, projette des images dansantes et éphémères qu’on espère éternelles, crée une autre réalité, espace incertain qui viendra se cogner au réel, pour reprendre la formule de Lacan.


Depuis deux mois, le projet, toujours repoussé, de reprendre le journal écrit lors de période covid et de le publier, a pris forme. Les séances de relecture s’enchaînent, interrogent sur la pertinence de conserver tel ou tel passage. Les chroniques suggèrent souvent plus qu’elles ne décrivent, oublient de contextualiser, s’inscrivent dans une double factualité où le narrateur, moi-même, dessine un univers incertain fruit de la sidération et de la volonté de survivre, c’est à dire de vivre.

Lentement le livre émerge, se construit, prend forme. Que restera-t-il des 180 pages initiales ? Que faire des mots maladroits ? De la colère infantile ? Les spectres oubliés de la peur de la maladie, des confinements, du pass sanitaire glissent d’un chapitre à l’autre, se réfugient dans le silence et les oublis. Je relis, biffe. Le texte, inégal et imparfait, dresse, en parallèle à la dystopie qu’il décrit, le portrait en creux de l’auteur en devenir. Procédé connu et ancien, on pense aux Ménines où Velasquez peint à la fois son autoportrait et plus subtilement celui du roi Philippe IV et de la reine Marie-Anne qu’on distingue dans un miroir, aux époux Arnolfini de Van Eyck.


Le mystère de la production littéraire me hante. Ses succès aussi. J’y pressens une injustice oppressante et castratrice qui amplifie parfois l’incapacité à écrire. Les idées affluent, se perdent, se mélangent. Reste à jauger, éliminer ou noter ce qui vaut la peine d’être conservé. Il faut avoir expérimenté cette terrible vacuité pour saisir le doute immense qui s’immisce, la sensation de voile opaque qui s’empare de l’esprit auxquels la seule réponse est d’écrire encore quel que soient les mots qui surgissent, gymnastique magique et créatrice.

Certains endroit sont plus propices que d’autres à ouvrir les portes de la création. Depuis quelques semaines, je me réfugie au Manali, bar d’hôtel, dont le nom fait davantage penser à une île ancrée dans une mer turquoise et cristalline plutôt qu’à la petite ville du nord de l’Inde qu’on rejoint par une route unique qui suit la vallée de Kullu aux confins de l’Himalaya. Wikipédia m’apprend qu’on peut s’y rendre en voiture depuis l’aéroport de Bhuntar où l’unique piste exige des pilotes aguerris. Déjà mon imagination s’emballe : prendre un vol un soir de mars à Charles de Gaulle, se réveiller au matin à Dehli, louer une voiture, tirer un long bord vers le nord et skier dans l’Himalaya. Le champs des possibles est infini.

Si j’ai attendu autant pour publier ce que j’ai écrit sur le Covid, c’est peut-être parce qu’à la fois je redoutais de me replonger dans cette période et que j’attendais un moment plus propice. Peu à peu la vérité émerge, cruelle, dérange. Il sera un jour scientifiquement établi que les confinements n’ont servi à rien, que le port de masques chirurgicaux était un leurre, que la balance bénéfice risque des vaccins Covid à ARNm ne plaide pas en leur faveur. Je m’étonnais hier de lire sur X des commentaires récents de gens qui croient encore à cette « sainte trinité ». Elle aurait sauvé des millions de personnes rien qu’en France d’après eux. Que répondre ? J’ai depuis longtemps cessé de tenter de convaincre. Récemment, un proche a contracté un « petit covid » diagnostiqué par son médecin traitant qui l’a renvoyé chez lui avec une ordonnance pour du paracétamol. Comme ça ne passait pas, j’ai demandé conseil et un « vrai traitement » lui a été proposé. Il s’est remis. Quand il est retourné consulter son généraliste lui expliquant de quelle façon il avait été traité. Celui-ci lui aurait répondu : « vous avez bien fait ». De qui se moque-t-on ?


Après réflexion, une autre raison motivait mes réticences à voir imprimé un ouvrage dans lequel j’exprime parfois, souvent, ma colère : la crainte de raviver les polémiques anciennes auxquelles a succédé un long silence qui, je l’espérais, ferait table rase, effaçant points de vue et divergences au profit d’un dialogue apaisé.

J’ai longuement hésité à faire paraître in extenso, sans autre relecture que celle visant à traquer les fautes de grammaire et d’orthographe, avant de décider finalement de m’autoriser à réécrire ou supprimer certaines parties si je le jugeais nécessaire. La hantise d’être mal compris, de blesser, m’a amené quelque fois vers l’auto-censure. Probablement le faible écho d’une voix discordante, m’invitant à me taire, avait-il également réussi à museler mes velléités de diffuser plus largement mes écrits. C’était il y a deux ans, peut-être trois, j’avais candidement demandé un avis sur un réseau social. La réponse cinglante m’avait envoyé au tapis, sonné : « Surtout, ne publie pas ». Je n’ai pas pardonné. D’autres voix se sont élevées depuis, parfois anonymes, m’incitant à diffuser enfin ces textes qui non seulement témoignent de l’extraordinaire période que nous avons traversée, que nous traversons encore, mais révèlent, je l’espère, la naissance d’un destin, étrange chemin qui apparait soudain comme hier le fleuve Guadiana sous le soleil qui le faisait apparaître tel un immense serpent cuivré, séparant l’Algarve et l’Andalousie, dont les mâchoires mordaient le golf de Cadix.

Dans quelques semaines, les chroniques écrites du 20 mars 2020 au 1er janvier 2022, journal lacunaire dont la période s’étend du premier confinement à la mise en place des mesures coercitives du pass vaccinal, seront enfin réunies. Leur titre fait écho à la seule œuvre de Bach que je sais jouer au piano, PRÉLUDE, rappelle que 2020 n’aura pas été seulement le début d’une décennie nouvelle mais également un alpha, un oméga, un commencement et une fin, s’inscrit dans une volonté de marier écriture et musique, dans l’esprit de Philippe Harlé qui attribuait des noms de vins ou d’alcool aux voiliers qu’il dessinait. Des précommandes lancées il y a quelques semaines, naissent déjà des échanges fructueux d’où se dégage une énergie douce et bienveillante. Pourtant je vais décevoir, sûrement. Sûrement la voix malveillante se fera entendre une ultime fois : « je t’avais prévenu ». J’espère cependant que ce petit livre trouvera son public.

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