En voyageant, en écrivant

Back in Paradise

Demain cela fera un an que maman est morte. J’y songeais allongé torse nu face au soleil qui chauffait ma peau. Je m’étais installé sur la petite terrasse sud, celle qui donne sur la lagune et le départ du premier trou du golf de Isla Canela. Je ne pensais pas écrire cette nouvelle chronique avant que mon fils ne vienne me voir dans la véranda transformée en bureau où je me pose pour écrire depuis que nous sommes arrivés. Il m’a demandé ce que j’écrivais, s’est étonné que je laisse un peu tomber les chroniques au profit de mon roman qui n’avance pas, enfin pas comme je voudrais. J’ai tenté d’esquiver, arguant que je n’avais pas le temps, me reprenant immédiatement avec davantage d’honnêteté : « parce que je ne prends pas le temps ».



Ce matin nous sommes allés visiter l’église qui borde la place de la lagune. Elle porte un joli nom : Iglesia de Nuestra Señora de las Angustias. En français, Notre-Dame d’Angustias. Je faisais remarquer les bas-reliefs peints composant le via crucis qui s’étire le long des deux pans de la nef. Etait-ce la musique ? Les faux cierges à pile ? La douce obscurité qui baignait l’abside ? J’ai senti surgir à nouveau l’ancienne tristesse.

Aujourd’hui le vent souffle en rafales et vient rafraîchir l’air. Demain il faudra prévoir un pull pour prendre le petit déjeuner dans la pergola alors que le jour de notre débarquement matinal à Faro la température avoisinait déjà les 30° C. Nous avions pris notre premier jus d’orange dans la cafétéria qui jouxte le terminal et masque l’allée où les taxis embarquent les voyageurs. L’air atlantique brasse l’immense palmier qui borde la résidence, finissant de déposer alentours ses fleurs séchées. Le bruit familier de la brise dans les arbres rappelle l’instant maritime. Malgré le flux interrompu qui vient du nord, aucun nuage ne viendra masquer le ciel où nous guetterons les avions après avoir observé les étoiles.

Depuis notre arrivée, je me suis remis à écrire. Les mots qui se refusaient en Bretagne, semblent ici plus aguerris, plus coopératifs, plus aptes à prendre la barre, à me guider vers le fil du récit. Ils explorent de nouvelles pistes, m’amènent vers des rives inconnues encore, étendent le champ du possible.

Je n’ai pas pris mon rythme encore, je ne suis pas seul, mais je le connais. Il s’impose, évident et nécessaire. Se lever tôt en même temps que le jour qui chasse l’obscurité, premier café dans la loggia où les vitres ouvertes laissent entrer le bruit lointain de l’océan et du fleuve que caresse le gallego. Seul, regarder vers le sud. Se mettre au travail pour une heure ou deux profitant du calme qui règne encore dans l’appartement. Plus tard, si la météo le permet, jouir de la piscine encore déserte pour nager. Enchaîner les longueurs, sentir mes muscles que réveille l’eau, quasi froide, qui glisse sur ma peau miraculeusement encore jeune et souple.

S’enrichir ensuite de la ville voisine, un tour dans les halles couvertes pour acheter quelques fruits, des légumes, peut-être du poisson ou de la viande. Ici on se régale de télines sautées à la poêle avec de l’ail et de l’huile d’olive. Ce petit bivalve est inconnu en France alors qu’on le pêche en quantité dans le Finistère dans la baie d’Audierne, la baie de Douarnenez et les Blancs-Sablons dans le Léon. Ici la pêche se fait à pied le long de la plage que borde l’Atlantique. Les pêcheurs tirent derrière eux une sorte de mini-chariot de supermarché qui vient draguer le sable et retient les coquillages. La pêche est réglementée et interdite aux touristes. Il y a deux ans, inconscients de cette interdiction, nous en avions ramassé un sac entier à marée basse en creusant dans le sable humide à l’ouest de la baie à proximité du club de surf qui annonce l’estuaire du Guadiana.

Vient ensuite le moment attendu de la journée, le café serré, servi à l’ombre d’une des terrasses qui entourent la place de la Laguna, dont le goût s’apparente au bica lisboète. Silencieux je contemple le spectacle, toujours renouvelé, qui s’offre à moi, ponctué de rires d’enfants et de propos en espagnol, sur un ton qui se hausse, que je ne comprends pas. Je regrette souvent de ne pas parler la langue ce qui complique parfois, souvent, la vie au quotidien, mais cela me préserve aussi, jetant une barrière invisible qui retient la parole de l’autre. Ici j’habite un monde protégé loin des propos toxiques qui peuplent habituellement celui où j’évolue quand je réside en France.

Le temps s’allonge, s’envole, ralenti par chaque gorgée de café. J’observe les gens qui passent, les jeunes femmes aux robes colorées qui masquent à peine les corps halés, souvent tatoués. De la mairie en face, sort une noce joyeuse et bigarrée, les filles perchées sur d’immenses talons dorés. On repère la mariée son bouquet à la main, souriante, presque heureuse.

Midi approche enfin, acclamé par les nombreuses cloches qui parsèment les rues étroites coincées entre les collines et le port de plaisance. La tasse vide invite à la balade. Il est trop tôt encore pour songer à déjeuner. Les courses effectuées déterminent les choix possibles. Rentrer à l’appartement ? Profiter de tapas dans une ruelle vêtue d’une toile d’ombrage ? Prendre le bac qui traverse le fleuve vers Vila Real et déjeuner dans la ville blanche ?



Déjà je sens sourdre une profonde nostalgie. Dans quelques semaines il faudra rentrer, rejoindre l’Armorique masquée par la brume estivale. Là-bas je n’espère plus rien. Tout m’insupporte. Le voile noir, qui nous envahit depuis quelques semaines, finit de m’éloigner de ce pays que j’ai tellement aimé. Je crains les hordes barbares, je crains les cris, le feu et le sang. Je crains la répression sans limite. Je crains la violence partout, l’intelligence nulle part.

Pourtant je guette un signe, une musique qui me parlerait, un air familier. Les larmes ne seront pas retenues, je pleurerai face à la mer, face au vent, face à l’avenir et aux pêcheur de télines. Demain cela fera un an que maman est morte.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *