Une histoire de masques
Douter de tout. Trop d’informations tue les convictions. Alors que depuis un mois je me bats pour faire passer un message simple sur la nécessité du port du masque dans l’espace publique comme moyen efficace de lutte contre l’épidémie, on m’objecte que cela n’a servi à rien au Japon.
Décryptage. Avec une population de 126 millions d’habitants, le Japon comptabilise officiellement ce vendredi 1er mai 430 décès liés au Covid-19, 1 sur 293 000 habitant, malgré la proximité géographique de deux foyers importants de l’épidémie : Chine et Corée. Le japon n’a mis en place aucune mesure de confinement total comme en Europe mais a dû s’astreindre à déclarer l’état d’urgence pour un mois dans plusieurs régions où les cas de Covid-19 ont connu une forte augmentation. L’exemple des écoles réouvertes puis fermées aura probablement marqué les esprits. Le port du masque est habituel au pays du soleil levant. Les habitants se protègent et leur culture les incite à faire attention au bien-être des autres et à ne pas gripper l’économie toute entière par un présentéisme inutile ou des éternuements mal canalisés dans le métro. Le télétravail est devenu la norme depuis deux mois, vidant les transports en commun habituellement bondés. On a tous en tête ces images hallucinantes de pousseurs faisant rentrer les voyageurs dans des rames surchargées. Comment expliquer alors que le virus se soit tout de même propagé ? La réponse est simple : il n’y a pas assez de masques. Le japon n’est pas meilleur élève que nous en matière de délocalisation et a préféré confier leur fabrication à son voisin chinois.
La situation mérite qu’on s’y attarde d’avantage. La « peste de Chine » (1855 – 1945) a fait plusieurs dizaines de millions de morts notamment en Inde. Plus près de nous, le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) émerge fin 2002 dans le sud de la Chine. Il s’avère redoutablement contagieux, provoquant des pneumonies aigües parfois mortelles. L’épidémie aurait fait 774 morts dans le monde selon l’OMS touchant principalement la Chine et Hong Kong. La grippe aviaire en 2003 se répand depuis des élevage de poulets à Hong Kong avant de se transmettre à l’humain. Plus récemment la grippe A de 2009 serait responsable de 150 000 à 575 000 décès. D’après le New York Times, le département de l’Agriculture des États-Unis a déclaré que « contrairement à l’hypothèse courante qui est que le virus pandémique de la grippe a pour origine des fermes industrielles du Mexique », le virus a « plus probablement émergé de porcs en Asie et a voyagé jusqu’en Amérique du Nord chez un humain ». Au XXème siècle, la grippe asiatique (1957 – 1958) et la grippe de Hong-Kong (1968 – 1969) auront provoqué à elles seules plus de 2 millions de morts. Autrement dit : depuis 1 siècle et demi, la Chine est le principal foyer épidémique mondial. C’est aussi le principal fabricant des masques nécessaires en cas d’épidémie. Demande-on aux pyromanes de s’engager comme pompier ?
Je reprends le raisonnement pour qu’il soit bien clair.
1 – En l’absence de traitement et de vaccins, le port du masque généralisé dans l’espace publique est un moyen efficace de contrôle des épidémies respiratoires et des virus qui se transmettent par voie aéroportée en association avec des mesures fermes de distanciation sociale et l’utilisation des gestes barrières (en pratique se laver les mains régulièrement).
2 – Un plan pandémique raisonnable prévoirait un stock tampon permettant de distribuer immédiatement des masques à la population tout en continuant d’alimenter l’ensemble des personnels de santé, y compris les soignants des EHPAD et les divers acteurs libéraux. Ce plan nécessiterait la capacité à fournir ensuite les masques nécessaires pendant toute la durée de l’épidémie.
3 – La Chine détient le monopole de la fabrication des masques chirugicaux et FFP2. On a récemment fermé une usine en Bretagne parce qu’elle n’était pas rentable.
4 – La Chine est le principal foyer épidémique depuis 150 ans des épidémies susceptibles de se transformer en pandémie.
5 -En cas d’épidémie non contrôlable comme celle de Covid-19, notre principale fournisseur de masques ne peut plus les fournir en quantité suffisante et les délais d’acheminement, principalement par voix maritime, sont très longs. Un porte conteneur met 22 jours pour se rendre de Shenzhen au Havre. Le temps d’embarquement et de débarquement, et les formalités douanières pèsent lourd et rallongent inexorablement le temps entre le départ d’un stock de masques d’une usine chinoise et sa livraison finale quelque part en France.
Autrement dit, c’est une folie d’avoir délocalisé massivement la production de masque, en France comme au Japon. On pourra essayer d’argumenter en long, en large et en travers pour justifier ce choix, le raisonnement est imparable. Nous sommes les pompiers de Fahrenheit 451.
Depuis un mois, le message politique en France a opéré un virage à 180°. Le directeur général de la santé, Jérôme Salomon a ainsi déclaré lors de son point presse du 3 avril 2020 : « Nous encourageons le grand public, s’il le souhaite, à porter des masques, en particulier ces masques alternatifs qui sont en cours de production ». Cette déclaration surprend alors qu’il demandait quinze jours plus tôt de ne pas porter de masque : «Je vois énormement de masques dans la rue, des personnes qui n’ont aucune raison d’en porter et d’être exposés à des malades. Ces masques sont mal portés, mal utilisés. Ne portez pas des masques.» Le mal est fait. Le doute subsiste. Bienvenu à l’âge du chacun pour soi. Les buralistes – oui en France on achète son masque au bureau de tabac – se font dévaliser par une population à qui on vend un nouveau message : le masque sera nécessaire le jour du déconfinement. Comme si le Covid-19 épargnait jusqu’à présent l’espace public alors qu’on a décrété la fermeture des plages et des parcs nationaux. Des millions de Français continuent chaque semaine à se rendre dans des supermarchés confinés pour acheter des produits de première nécessité, offrant leur gorge et leurs narines nus au virus baladeur. Ceux qui sont contaminés sans le savoir peuvent sans contrainte postillonner et tâter fruits et légumes sans avoir au préalable désinfecté leurs mains au savon ou au gel hydroalcoolique. Chacun pour soi et Dieu pour personne ! Porter un masque – sauf s’il est à la norme FFP2, on en trouve mais c’est hors de prix pour un masque jetable (3 / 4 € pièce) – c’est avant tout protéger les autres. Je doute que la ruée actuelle vers les vendeurs et les machines à coudre, repose sur des sentiments profondément altruiste.
Les chiffres font mal : le taux actuel de mortalité du Covid-19 au Japon est de 0,00034 % contre 0,036 % en France. La polémique n’est pas prête de s’éteindre.
#sortonsmasqués