Journal du confinement (7)
Parcourir le journal fragmentaire de Silvia Avallone écrit depuis son appartement de Bologne. Témoignage lacunaire d’une écrivaine en quête d’identité. Comme elle je me demande ce que le virus m’aura fait traverser, vers quels rivages inconnus il me transporte.
Le premier jour, c’était un lundi, je me suis préparé un peu comme on embarque pour un week end à Belle Ile. Le confinement n’avait pas encore été officiellement annoncé, j’ai fait quelques courses chez Monoprix histoire de voir, pris quelques affaires avant de rejoindre mon lieu de confinement. Un grand appartement dans le centre ville pour moi tout seul. Des livres par centaine, des CD, un home cinéma, une chaine Hi-Fi haut de gamme. Les jours à venir ne seraient pas si désagréables. Vacances imposées certes mais loin de l’horreur de la cohabitation à cinq dans 40m2 en banlieue. Le temps dont je manque tellement venait de me dérouler le tapis rouge. Enfin j’allais mettre un point final à bien des projets en cours. On partait pour 15 jours, peut-être un poil plus, je serais sorti pour fêter mon anniversaire.
Très vite il a fallu se rendre à l’évidence, nous avions appareillés pour une navigation au long court à la durée et à la destinée incertaines. Les vivres achetées à la va-vite était depuis longtemps épuisées. Le prochain avitaillement devait permettre de tenir plusieurs semaines sans sortir. Dehors le virus rodait. Ce n’était pas pour rien qu’on nous demandait de remplir une attestation sur l’honneur motivant notre motif officiel de sortie. Il fallait que la raison soit légitime pour oser affronter le Covid-19. Pour être tout à fait franc, je ne crois pas que nous prenions la mesure exact de ce qui se passait. Sidération ! Nous nous accrochions à une réalité qui allait disparaitre dans quelques semaines sans certitudes sur sa capacité à renaître. Les commerces avaient pour la plupart fermé, les rideaux baissés des bars et des restaurants tiraient un trait sur la convivialité. L’horizon s’éloignait. Il nous fallait penser un monde d’après. Un monde de chaos et de mort confronté à un ennemi invisible face auquel nous n’avions ni vaccin, ni traitement. On nous demandait de vivre confinés pour ne pas étouffer un système de santé moribond tout en nous vendant les vertus de l’immunité collective. Les contradictions gouvernementales allaient pleuvoir mais nous le savions pas encore.
La prochaine escale c’est le déconfinement. Tout le monde en parle, apporte son grain de sel sur les réseaux sociaux principalement, le café du commerce reste pour le moment fermé. On sent une vraie tension à l’idée de sortir, de se lever tôt un lundi 11 mai pour mener les enfants à l’école. Déjà le président a indiqué que la reprise des cours se ferait sur le volontariat, sans que l’on sache s’il faisait allusion aux enfants ou aux enseignants. La révolte gronde. Plus forte, plus massive que celle des gilets jaunes. Le peuple a besoin d’un bouc émissaire. Le mécontentement se focalise sur la pénurie de masques qui n’est pourtant que la partie immergée de l’Iceberg. On s’en foutait n’est-ce pas ? Les infirmières dans la rue, les profs pas contents, les pompiers en grève,… autant de fonctionnaires insatisfaits, à croire que c’est dans leur ADN. Curieusement ils ne sont pas confinés, eux. Pendant que nous nous plaignons de notre détresse psychologique, ils font le job : soigner en y risquant sa peau, certains y sont restés, accueillir et faire classe aux enfants des soignants, risquer le caillassage en allant éteindre nos banlieues qui recommencent à s’enflammer. Et si ces heures passées cloitrés nous apportaient la lucidité perdue devant BFM, Koh-Lanta ou Cyril Hanouna ? Il parait que les audiences de ce dernier depuis son canapé sont en chute libre. A force de vouloir faire le buzz, on finit par se casser la gueule. Pourvu que ça dure dirait Lafesse.
Les regard semblent tous braqués vers la date fatidique décidée par le général en chef. Les allégations vont bon train. Une information données est contredite le jour même. On essaie, on tâtonne. Les journalistes restent sur le qui-vive pour donner du grain à moudre aux contestataires, le gouvernement-bashing fait vendre. En résumé, on ne sait rien. Justement, on ne sait rien. L’avenir s’éloigne à mesure qu’on s’en approche. Le quotidien de l’après ressemblera pourtant étrangement à celui que nous avons quitté hormis les créatures masquées que nous croiserons dans la rue, le bus ou le métro. Elles nous ressembleront pourtant. Un coup d’œil dans le miroir pour s’en convaincre. Masques révélateurs de privilèges, en tissus pour le bon peuple, chirurgical pour les autres. Quelques nantis arboreront des FFP2 qu’ils jetteront quand bon leur semble sans se préoccuper d’un éventuel recyclage. Les terrasses des cafés resteront désespérément vides. Ça et là des restaurants proposeront de la vente à emporter que nous iront déguster dans nos tanières fraichement repeintes. Les boutiques de prêt à porter recycleront leurs offres commerciales pour brader un stock d’été devenu toxique qui n’attirera personne. Vide H & M, vide Zara, vide le petit magasin du coin qui propose encore des pulls acheté rue Sedaine. La liberté chérie à nouveau retrouvée aura un goût de nostalgie. On pleurera Christophe comme on pleurait Johnny, l’été aura la couleur des mots bleus. Pas de bals populaires le 14 juillet pour s’enlacer en criant Aline.
Notre malheur n’est pas si grand. Qu’on songe aux jeunes étudiantes en médecine parachutées dans des services de soins palliatifs en charge de malades condamnés. Les piqures de morphine, les yeux qui implorent, ce lent glissement de la vie qui perd son sens quand la solitude se fait trop poignante. La tragédie nous épargne pour la plupart, elle n’égratigne que notre petit confort. Certains y laisseront des plûmes, des emplois disparaîtront. Enfin c’est une probabilité. Reste que le monde de demain sera celui que nous choisirons. On ne sortira pas indemne d’une telle traversée. Les deux mois passés chamboulent l’avenir et nos convictions. L’incertitude est grande. Le rivage encore lointain vers lequel nous naviguons. On pense aux Syrtes évidemment, peut-être ne se passera-t-il rien ? La mer est ronde, quand on garde le cap on revient au port.