Charlélie Couture et moi
Charlélie Couture et moi avons en commun une même passion pour les voyages en train. Je suis au fil de ses publications ses pérégrinations ferroviaires pour se rendre en concert. Fin juin à Sète au festival « Quand je pense à Fernande », heureux nom qui rappèle une scène mémorable des « Bronzés font du ski » où Klari Hosszufalussy participe à une orgie dans le refuge qui jouxte la frontière italo-française.
Ma vie a changé depuis quelques semaines m’entrainant à effectuer des aller retours irréguliers entre préfecture et sous-préfecture. J’alterne Trains Express Régionaux et TGV. Le tarif est unique, 10 euros, les voitures rarement bondées. Je n’ai pas encore compris la logique des horaires, le manque d’expérience, probablement. Un jour, peut-être, deviendrai-je habitué de cette ligne qui relie Vannes et Lorient et aurais-je l’explication de ces horaires incertains qui restent un mystère. Une clientèle hétéroclite peuple les wagons. Lundi une gamine de douze ou treize ans, ses iPods vissés aux oreilles, ne quittait pas des yeux son cellulaire. Le contrôleur qui arrivait allait-t-il faire une remarque sanctionnant ses Converses qui trainaient sur la banquette ? Avachie, elle ne semblait pas s’en inquiéter. Peut-elle imaginer qu’on ne met pas les pieds sur les canapés ? En face, son clone maternel frisait la cinquantaine : basquets identiques, percings, tatouages, jeans troué. L’air du temps.
Une fois n’est pas coutume, je fus contrôlé. Aimablement, c’est souvent le cas. Les TER ne sont pas vraiment adaptés aux vacances. Nulle place pour ranger les grosses valises. Des bagages trainaient ça et là dans le couloir et sur les fauteuils laissés vides. A chaque gare, des affiches de festivals rappelaient que depuis une semaine c’est l’été. Au même moment mon fils volait vers Faro, passait au dessus de l’île d’Yeu. J’essayais un instant de l’imaginer regardant la côte vendéenne qui défilaient derrière le hublot. Une géographie inédite s’invitait à son regard, lui qui est d’avantage habitué des vols à la période de Noël pour aller rejoindre ses grands parents pendant les fêtes de fin d’année.
Je m’envolerais volontiers vers l’étang de Thau. Booker un Nantes – Montpellier, rejoindre la ville de Brassens. Peut-être tirer un trait vers le nord jusqu’à l’observatoire du Mont Aigoual ? Avec de la chance le temps serait clair, on verrait les Alpes, les Pyrénées et le Mont Ventoux. Partir au débotté, réserver à la hâte une chambre d’hôtel près de la gare ou du port, plonger le regard vers le sud, croiser Minorque et Palma, s’en aller en Alger. A l’horizon s’amuser des voiliers qui picorent une mer infinie. Prendre une cuite mémorable, pourquoi pas, après avoir dégusté des moules farcies en regardant les chalutiers débarquer poulpes, rougets ou capelans. Enfin ivres, vagabonds d’un soir, errer sous les tuiles fauves, naviguant cahin-caha vers le phare du Mont saint Clair et le Cimetière Marin.
Au petit matin, nous embarquerions sur un Muscadet fraichement rénové malgré la promesse d’un coup d’Argade, un ris dans la grand voile au cas où. Cap au sud-est vers Toulon ou Hyères avant de continuer la route jusqu’à Ajaccio après une courte escale, point de départ d’un tour de Corse épique et mémorable d’une quinzaine de jours qui verrait pointer l’étrave devant Girolata, les plages du désert des Agriates et les îles Lavezzi. Prélude de navigations futures qui me mèneraient de Méditerranée en Atlantique, écrivain navigateur à la recherche du temps perdu d’Istanbul à Saint Petersbourg, jours heureux qui tourneraient la page de la sombre époque post covid.
J’envisage de partager ma vie entre le sud de l’Espagne d’octobre à mai et de vivre sur un voilier d’une dizaine de mètres en été. Existence nomade à la rencontre de l’Europe, de ses cultures, de ses populations où la route devient source infinie d’inspiration, de poésie et d’explorations littéraires au détour des miles parcourus, des vagues scélérates, des mouillages clandestins qui réveillent les souvenirs et effacent certaines cicatrices qu’on croyait éternelles.
Pour le moment je prends le train, comme Charlélie Couture. J’enchaîne les trajets goûtant le refrain désormais quasi imperceptible des roues sur les voies alors que j’en profite pour écrire, bureau itinérant et changeant qui satisfait mon appétit de nouveautés.
De retour dans la cité deux fois millénaire, je découvre de nouveaux espaces. Terrasse installée au pied des remparts et de la tour du bourreau où je bois des cafés américains, patio animé d’un bar à vin récemment ouvert, boui-boui installé par des réfugiés syriens qui exhale des parfums d’orient échappés de Alep, Damas ou Hama. La ville continue sa mue, lente métamorphose vers la modernité et le tourisme estival au risque de s’endormir à l’automne, prémisse des hivers qui me pousseront vers l’Andalousie.
Seul, je vis comme à Paris. Ni contraintes, ni horaires. Le réfrigérateur souvent vide. Existence bohème qui échappe aux exigences quotidiennes. Je ne me préoccupe pas du menu du prochain repas, alternant suivant mon humeur junk food à emporter ou frichti hâtivement cuisiné avec les ingrédients disponibles.
Parfois la cathédrale Saint Pierre me sert de refuge, invitation à la réflexion et à la méditation dans le calme serein des pierres anciennes, intermède sacré qui ne s’oppose pas au profane, s’y mêle dans une danse baroque, inhabituelle rappelant que l’ombre bouleversante des églises ne nuit pas toujours à l’art païen. Depuis plus de dix siècles se succèdent des voix qui accompagnent joies et douleurs, elles hantent la nef, vestiges des sermons et des chants religieux. On croit les entendre à l’apogée du transept lorsque les lieux se vident et que le silence revenu entrouvre les portes du temps laissant entrer un passé que l’on croyait révolu. Le portail rouge fermé abrite à la nuit tombée un opéra fantastique, ripopée étrange qui voit s’ajouter au cœur des défunts les cris funestes des gargouilles.
Ce soir une voiture inconnue m’emmènera vers la rade. Je traverserai le Blavet et le Scorff. A l’heure où le soleil disparait derrière les collines armoricaines, j’irai déguster au Pérystile une assiette de bulots accompagnée d’un chardonnay frais qui me rappellera le petit chemin qui longe la plage de Saint Palais sur Mer, le phare de Cordouan et les nuages sur la Garonne. Je songerai alors à Magalie, Pierre et François, à cette époque bénie où nous ne savions pas que nous étions jeunes encore.