Chroniques

Stupeur et tremblements

Saut rapide chez Monoprix. J’ai longuement hésité à sortir. Quel intérêt de suivre une distanciation sociale stricte en s’obligeant à ne se frotter à personne si c’est pour tout mettre en péril en allant faire des courses ? Lundi j’avais anticipé les mesures du décret du 16 mars 2020 en achetant de quoi tenir quelques jours sans réaliser que je saborderais mon moral à manger des pâtes au ketchup midi et soir.

Muni de l’ATTESTATION DE DÉPLACEMENT DÉROGATOIRE remplie en bonne et due forme puisqu’il me fallait d’urgence « effectuer des achats de première nécessité » je sortais de l’appartement sans oublier une pièce d’identité. Au vue des nombreuses allées et venues de certains autres occupants de l’immeuble et des risques de contamination que cela suggère dans les parties communes de la copropriété, j’ai dû d’abord me battre avec la porte qui donne sur la rue pour réussir à l’ouvrir en toute sécurité sanitaire prenant soin de la laisser ouverte afin de ne pas avoir à recommencer le même manège à mon retour. La rue ne ressemblait en rien au désert annoncé. J’ai préféré emprunter la chaussée plutôt que de croiser certains quidams apparemment peu enclins à adopter une distance de sécurité d’au moins un mètre.

Devant l’entrée du magasin quelques SDF haranguent leurs chiens et une foule invisible. Je ne traine pas, j’ai lu qu’un propriétaire de chevaux interdisait que l’on caresse ses animaux. Le temps de survie du virus sur un canidé n’est pas encore connu. L’ouverture automatique m’évite de devoir chercher une nouvelle astuce pour déjouer le piège des poignées de porte. Je ne remarque pas tout de suite les parloirs en plexiglas installés à certaines caisses pour protéger clients et employées, trop occupé à foncer vers l’alimentaire, jetant un œil au passage aux rayons textiles qui ne semblent pas avoir beaucoup diminué.

Il n’y a pas foule pour un dimanche midi mais trop de monde encore à mon goût. Je suis obligé de slalomer entre les têtes de gondoles n’hésitant pas à faire des détours pour assurer un minimum de distanciation vitale. La rupture du stock de carottes est finalement une bénédiction. Ici il faut désormais tout faire tout seul. Quel est le danger à utiliser la balance ? L’écran est-il décontaminé entre chaque client ? N’est-il pas suspicieux d’ailleurs que le groupe Casino ait choisi d’automatiser ses points de vente avant la montée en charge de l’épidémie. Nul doute que les complotistes en herbe se posent déjà la question.

Je réussis finalement à atteindre les armoire réfrigérées qui abritent lardons et saucisses de Toulouse que je convoitent depuis qu’une idée de recette a jailli de mon ventre saturé de spaghetti premier prix. Hélas, mille fois hélas, une satanée poignée vient à nouveau s’interposer. Quelle idée d’avoir installé des vitres partout pour limiter la consommation énergétique. Le climat y gagne mais les virus aussi. La manche de mon pull me protégera. Il sera bon pour un aller simple dans le lave linge sans passer par la case départ. Il ne touchera pas 20 000 francs. 

Obnubilé par la surveillance de ma zone de confort, je suis incapable de choisir : dates de fabrication, DLC, poids net, origine, pourcentage de matières grasses s’agitent dans mon esprit qui tourne à vide. Le stress monte. Ce n’est pas la panique mais pas loin. Souffler, respirer, je vais y arriver. Je dois me concentrer sur la recette : la liste de course attend sagement sur la table de la salle à manger. Coup d’œil autour pour m’assurer que personne ne me suit. Avantage : je connais le terrain. Pas de temps perdu à errer dans des allées infinies à la recherche d’un produit dont l’emplacement a été subtilement déterminé par des marketeux sortis de HEC ou l’ESSEC. Ils ont beau dicter leurs règles, chez Monoprix je suis à armes égales.

Je retourne voir s’il n’y aurait pas par hasard un substitut possible aux carottes. J’ai zappé tout à l’heure l’espace des fruits et légumes bio qui invitent à consommer de manière non équitable et hors de prix des primeurs qui viennent du bout du Monde. Rien non plus. Lardons checked, saucisses checked, cidre doux checked. Il ne manque rien. Ah si ! Du jus d’orange. Inutile pour ma recette mais indispensable pour booster les défenses immunitaires. Machine arrière. Demi tour et en avant vers l’armoire qui abrite les jus de fruits frais. Et là le drame. Stupeur et tremblement quand au bout d’une allée j’ai failli percuter un grand typeen quête comme moi de courses rapides. La collision évitée de justesse, nous nous sommes regardés brièvement oscillants entre rire, peur et colère. Le risque zéro n’existe pas.

Passage aux caisses automatiques enfin. Chacune d’elles protégée par une grande plaque en carton plume installée à la va-vite . On se croirait dans un isoloir : on n’achètes pas, on vote ! J’ai béni ma curiosité qui m’avait poussé à me passer des caissières lors de mes précédentes visites. Je maitrise l’outils. Gage de temps. Je me suis même permis le luxe d’ôter les 51 centimes restés crédités sur ma carte de fidélité. Carte bancaire. Paiement sans contact. Fin du game.

De retour à l’appartement j’ai d’abord procédé à un long lavage de mes mains avant de ranger ce que j’avais acheté. Puis lavage à nouveau.

Ce dimanche midi c’était saucisse lentilles à la Bretonne.

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